Action Poétique
« From a
distance these things, these Movements take on a charm
that they do not
have close up - I assure you. »
Marcel Duchamp, Letter to Ettie Stettheimer, 1921
D’un côté, le marché de la poésie,
une manifestation annuelle, parisienne, printanière, poétique née en 1983 à
l’ombre des arbres et de la fontaine aux lions sise place Saint Sulpice à ne
pas confondre avec Saint Supplice mort viviséqué puis éviscéré. De l’autre,
Action Poétique, un organisme financier créé en 1906, ainsi nommé sous le contrôle
de sa maison mère A.R.P.V., enregistré à la Chambre de Commerce de Lyon, le 7
février 1906. À l’automne 1906, Action Poétique émet des actions de cent francs
chacune.
D’aucuns interrogent la validité
de cette compagnie. Mais Belle Époque oblige, c’est le règne de l’insouciance
qui égare les esprits. Les petits porteurs avides de gros profits se
précipitent sur les actions. À la Bourse de Paris, le cours d’Action Poétique
ne cesse de monter jusqu’en 1909 où le scandale arrive, la bulle éclate, le
cours dévisse puis s’effondre. Les actions d’Action Poétique se révèlent être
l’ancêtre des « junk bonds », en français obligations dites « pourries
ou poubelles » telles que l’économiste John Kenneth Galbraith les décrit
dans son ouvrage « Les mensonges de l’économie : Vérité pour notre
temps » (2004) – « The Economics of Innocent Fraud : Truth for
Our Time ».
Arrêté par la police, Gustave
Floué d’Action Poétique affirmera lors de son procès : « Que voulez-vous, de nos jours, les
muses sont corrompues, les fleurs vénéneuses et leurs corolles putrides », d’où le concept financier d’obligation
à haut risque ainsi nommée obligation pourrie en hommage à la putréfaction des
fleurs. L’escroquerie d’une telle Action souille par son blasphème, l’éternel emblème
de la poésie.
Morale de l’histoire : l’adage
selon lequel la poésie serait une activité désintéressée et étrangère à toute idée
de profit est une imposture. Ironie de l’histoire : happening sans foi ni
loi, Action Poétique est désormais considérée comme l’ancêtre de la toute
première start-up de l’histoire. Fondée à New York en 1920, la dite start-up
est une société anonyme enregistrée sous le nom de Société Anonyme, Inc. Les
fondateurs de cette tautologie commerciale ont pour nom Katherine Dreier, Man
Ray et Marcel Duchamp. Mais ceci est une autre histoire.
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