07/06/2014


Un blasphème norvégien



Oslo, National Gallery, juin 2014.

Je venais de terminer une interview filmée avec Frode Ernst Haverkamp, senior curator du National Museum of Art, Architecture and Design au sujet d'une copie de la Joconde, présente dans les collections norvégiennes, faussement attribuée à Bernardino Luini (1481-1532) pour cause de signature contrefaite puis à Philippe de Champaigne (1602-1674). Je précise que cet entretien fait partie d'un documentaire à venir, intitulé Mona Lisa: Thirty Are Better Than One, (co-réalisé avec Haijun Park) sur la multiplication des Joconde(s), variations, vraies fausses Mona Lisa du 16ème siècle à nos jours, de Joshua Reynolds à Marcel Duchamp, de l'atelier de Léonard à la factory de Warhol.


Mona Lisa - Anonyme - National Gallery - Oslo
photo de Haijun Park
Courtesy National Museum of Art, Architecture and Design - Oslo



Mona Lisa (détail - fausse signature de Bernardino Luini) - Anonyme - National Gallery - Oslo
photo de Haijun Park
Courtesy National Museum of Art, Architecture and Design - Oslo


Quittant la National Gallery, je me dirigeais vers Eidsvolls plass, la place jouxtant le parlement et le Théâtre National de Norvège, où quelle ne fut pas ma surprise, je découvris une bien étrange installation. À quelques mètres de là, trônait la statue de bronze d'Ibsen qui imperturbable et sévère semblait observer la scène. L'objet que j'entrapercevais était si invraisembable qu'on aurait presque pu entendre l'ouverture de Peer Gynt, le drame poétique du dramaturge norvégien :

AASE
Peer, tu mens !

PEER GYNT
Mais non !

AASE
Bon ! alors, jure que c'est vrai !

PEER GYNT
Jurer, pourquoi ?

AASE
Honte à toi ! tu n'oses pas ! Tout ça n'est que bêtises et frivolités !

PEER GYNT
C'est vrai... de bout en bout !

Qu'étais-je en train de voir que je ne pouvais en croire mes yeux ? Était-ce un hommage inconsidéré à la Fontaine, porcelaine renversée et ready-made du plus grand artiste français du XXème siècle, (français quoiqu'exilé à New-York dès 1914) ? L'immoralité de la chose était criante. La ville d'Oslo avait porté atteinte aux principes premiers de la liberté made in France. Oslo avait terni l'image de l'immortelle devise française : liberté-égalité-fraternité. Oslo avait souillé la sainte trinité républicaine de la liberté — ­le Père, l’égalité — le Fils et la fraternité ­— le Saint Esprit ou encore, que la liberté y est gratuite, l’égalité laïque et la fraternité obligatoire.



Fontaine - Marcel Duchamp - 1917 - 1964 - S.D. : R.MUTT / 1917 - S.D.R. : Marcel Duchamp 1964
L.H.O.O.Q. - Marcel Duchamp - (réplique / 1930)


Oslo n'avait rien fait de moins que de réduire le noble et pur slogan républicain à une vile et vulgaire fonction de déjection. Tel était l'infâme objet du délit. Ou bien n'était-ce que l'objet d'une troublante et involontaire ironie issue d'un royaume, envers une république et son peuple régicide ? Ou bien encore un simple clin d'œil — coup de marketing du groupe industriel spécialisé dans la publicité urbaine JCDecaux, créateur en 1981 de la fameuse sanisette. Pour les français, la sanisette serait-elle aux toilettes ce que l'anisette est à l'apéritif, un moment de détente et d'allégement de l'esprit de du corps ?

Mais laissons plutôt parler l'image.



Sanisettes JCDecaux - Eidsvolls plass - Oslo
photo de Haijun Park



À ceux qui seront choqués, rappelons les divines et érudites paroles du poète, Francisco de Quevedo, dans son œuvre datée de 1622-1623 :

HEURS ET MALHEURS DU TROU DU CUL
Adressés
à dame Jeanne Troplein, tas de viande, femme pesante à souhait
Écrit
par Jeanin Testin, dit Chemisette Souillée
Edité
par Daniel Levrette, maître occultiste.

 Ceux qui savent que toutes choses grandes en noblesse et vertu courent le risque d'être méprisées par la fortune ne s'étonneront pas de ce que le cul soit si malheureux, lui en particulier qui réclame davantage d'empire et de vénération que les autres parties du corps; car il est, à y bien regarder, le plus parfait, le mieux placé et le plus favorisé de la Nature, puisque sa forme est circulaire comme la sphère, et qu'il est divisé par un diamètre ou zodiaque comme elle. Sa position est centrale comme celle du soleil; son toucher est doux; il n'a qu'un seul œil, ce pour quoi certains l'ont voulu appeler borgne, et si nous y regardons mieux, il doit être pour cela loué, car il s'apparente aux cyclopes, qui avaient un seul œil et descendaient des dieux.

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