Textes circulaires
Thésée et
Ariane à l’entrée du labyrinthe crétois, gravure, env. 1460-70
Dans
son cours au Collège de
France sur le “neutre” (séance du 25
février 1978), Roland Barthes raconte : “Un peu comme Gide, Pyrrhon demanda au fond qu’on lui
fiche la paix avec tout ce verbiage, ce discours des sophistes. Et de la sorte
en assumant sa fatigue c’est à dire en assumant la parole des autres, comme non
seulement excessive mais accablante et fatigante, il a créé quelque chose.
Alors je ne peux pas dire quoi, puisque ce ne fut pas à vrai dire une
philosophie, ni un système. Je pourrais dire que Pyrrhon est là précisemment le
neutre* comme s’il avait lu déjà Blanchot mais ce n’est pas étonnant, les
textes sont circulaires. Les textes ne sont linéaires que dans une perspective
purement empirique et rationaliste, mais en profondeur les textes sont
circulaires et il n’est pas faux de dire que Pyrrhon avait lu Blanchot et que
Sophocle avait lu Freud.”
* J’appelle neutre tout ce qui — tout discours, tout
geste, toute conduite — qui déjoue le paradigme, c’est à dire l’opposition
binaire de type conflictuelle.
De
Pyrrhon, il ne nous reste rien excepté le texte de Diogène Laërce dans Les Vies,
doctrines et sentences des philosophes illustres. Ainsi le doxographe
dépeint Pyrrhon, le précurseur des sceptiques : Tous ces philosophes s’appelaient pyrrhoniens, du nom de leur maître,
ou bien encore aporétiques, sceptiques, éphectiques et zététiques (douteurs,
observateurs, qui suspendent leur jugement, chercheurs).
Il dresse
également un parallèle entre la naissance du scepticisme et les origines de la
littérature :
[Pyrrhon] avait sans cesse à la bouche ce vers du
poète [Homère] : “Les hommes sont semblables aux feuilles des arbres.” […] Quelques-uns
prétendent qu’Homère est le premier auteur de ce système, parce que, plus
qu’aucun autre écrivain, il exprime sur les mêmes choses des idées différentes,
sans jamais rien affirmer ni définir expressément. […] Enfin ils citent Homère qui avait dit avant tous ces auteurs : “La
langue des mortels est changeante, inconstante en ses discours”
Pour
reprendre le propos de Roland Barthes selon lequel : il n’est pas faux de dire que Pyrrhon avait lu Blanchot, alors
peut-on imaginer qu’Homère ait lu Pyrrhon ? Ou faudrait-il entendre plutôt
que l’origine de la philosophie réside dans la poésie ? La littérature ?
La philosophie serait-elle un genre littéraire qui s’ignore en tant que tel ?
Cette
circularité barthesienne n’est pas sans rappeler la notion de plagiat par
anticipation développée par Pierre Bayard dont l’origine remonte au Second manifeste de l’OuLiPo (1973)
rédigé par François Le Lionnais : Et
cela m’amène à la question du plagiat. Il nous arrive parfois de découvrir
qu’une structure que nous avions crue inédite, avait déjà été découverte ou
inventée dans le passé, parfois même dans un passé lointain. Nous nous faisons
un devoir de reconnaître un tel état de choses en qualifiant les textes en
cause de « plagiat par anticipation ».
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